samedi 29 mai 2010

Mémoires d'un enseignant 9

L’école de Oualata est située dans la Batha, à quelques centaines de mètres du fort de la ville. Chaque matin, en venant à l’école, je voyais les prisonniers vaquer à leur corvée quotidienne. Leurs chaînes luisaient au soleil. Le désolant «spectacle» rappelait l’époque de la traite négrière. Ils étaient une dizaine d’hommes qui peinaient à remplir, chaque jour, plusieurs fûts, de l’eau du puits de Baba Gori, en bas de la colline. Quand, à midi, les élèves descendaient, ces pauvres prisonniers s’employaient, encore, à cette besogne. Vers quinze heures, alors que nous étions de retour à l’école, pour les cours de l’après-midi, ils étaient, encore, sous le chaud soleil, peinant à remonter les fûts sur la pente menant au fort, sous le regard de quelques gardes, armes en bandoulière. De véritables Sisyphe. Personne ne pouvait les approcher. J’eus l’occasion de visiter les cellules du fort, alors qu’aucun prisonnier ne s’y trouvait. J’étais avec un garde de la ville qui faisait partie du peloton de surveillance des prisonniers, sous les ordres d’un officier. C’étaient de petites chambres, noircies par les graffitis de désespoir d’hommes injustement retenus pour des considérations fallacieuses.

Un Tazmamart mauritanien où des geôliers, racistes et sans scrupule, ont eu l’opportunité de verser leur haine et leur mépris sur de pauvres hommes, loin des regards des mortels mais sous le contrôle, incontournable, d’Allah, le Juste et Bon, à qui tous les responsables de ces crimes abominables rendront, un jour, compte. J’ai visité la chambre de feu Moktar Ould Daddah. Celles où feus Tène Youssouf Guèye et Djigo Tafssirou ont rendu le dernier soupir, sous la torture, impitoyable, des criminels. Les pièces, exiguës et peu confortables, des détenus Ibrahima Sarr et consorts. J’ai entendu les pratiques, inhumaines, auxquelles s’adonnaient les gardiens de la prison de Oualata. Un jour, tôt le matin, j’appris, en écoutant Radio-France, la mort de Djigo Tafssirou. Lorsqu’à midi, j’en parlais avec Alioune Sangoura, l’infirmier d’Etat en poste à Oualata, il me confirma que le pauvre était mort depuis un mois. Comment le sais-tu? Lui dis-je. Un vague sourire aux lèvres, il m’apprit qu’une nuit, vers trois heures du matin, une voiture de la garde était venu le prendre chez lui. Une fois au fort, il fut mis en présence de l’ancien ministre, mourant. Malheureusement, il ne put rien pour lui. Il constata son décès et produisit un certificat l’attestant. Lorsque je lui reprochai de ne pas me l’avoir révélé, mon ami Alioune m’expliqua qu’il n’aurait pris jamais un tel risque. Il avait raison, tenu qu’il était par le secret professionnel et moi, si langue pendue que j’étais.

Souvent, comme je connaissais pratiquement tous les gendarmes de la brigade, je partais avec Mohamedou Ould Lebatt, maréchal de logis-chef, commandant-adjoint de brigade, en visite de secteur. Les randonnés de Dhar, de Galb Ejmel et de Mreihim étaient particulièrement intéressantes, pour la viande, d’abord, pour la beauté du paysage, ensuite, et pour bien autre chose, enfin. Au cours de ces tournées, les braconniers Nmadi, les rares charbonniers Harratines et les voleurs de bétail, venus des quatre coins du pays et d’ailleurs, passaient de mauvais moments. La puissante voiture de la gendarmerie passait, au peigne fin, les coins et recoins des moindres campements de la moughataa. Les tentes les plus recluses étaient dénichées, sans peine, par des gendarmes rompus à la traque de ces bédouins du Sahara. Dans ces contrées éloignées, les gendarmes faisaient tout. Ils jugeaient les différends, sensibilisaient les populations et dirigeaient, parfois, les prières. Dans les campements où il y avait une école ou un centre de santé, ils s’enquerraient de la présence du maître ou de l’infirmier. Généralement, après deux jours copieusement remplis, la mission rentrait à Oualata, toujours accompagnée de l’intrus que j’étais.

Deux ans à Oualata. Je pensais, de plus en plus, à chercher du travail ailleurs. Mais, d’après les connaisseurs, ce département ressemble à ce que la tradition maure dit des vielles femmes: Le difficile n’est pas d’y entrer mais d’en sortir. A cause de son enclavement total, aucun instituteur ne demandera à y venir. L’affectation à Oualata est, souvent, le résultat, comme dans mon cas, d’un retard exagéré ou à d’une mesure disciplinaire. Nous étions au mois de mars. Les Pâques approchaient. J’envisageais, sérieusement, de quitter Oualata. Plusieurs jours avant la date prévue pour les fêtes, je «mis mon pied», sans avertir le directeur, dans une voiture du projet élevage 2, venue en mission chez feu Baro. Direction Nema, à la recherche d’une opportunité pour quitter mon poste. Mon ami Hbib Ahmed Salem, un nom d’émir du Trarza, travaillait dans les environs d’Amourj, précisément dans un adebaye du nom de Ver’e El Ketane. Lorsqu’il apprit que je voulais quitter Oualata, il me proposa une permutation que j’acceptai, sans hésiter. Aussitôt, nous fîmes les formalités, sous les yeux du directeur régional. Note de service en main, je devais, désormais, aller servir au Kouch (appellation du département d’Amourj) et mon ami Hbib était, théoriquement, affecté à Oualata

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