samedi 29 mai 2010

Mémoires d'un enseignant 17

J’ai passé deux ans dans le ‘’charmant’’ village de Vir El Kitane. Certains de mes élèves, recrutés à mon arrivée, étudiaient, maintenant, dans les collèges de Nema ou d’Amourj, selon leur convenance. J’étais devenu un homme de Vir El Ketane. On me demandait mon avis, même dans les choses extrascolaires. Mariages, baptêmes, invitations occasionnelles, Elgaray ou Sambe, comme aimaient m’appeler, affectueusement, les villageois, était, systématiquement, sollicité. J’aurais pu rester, encore, quelques années, si le directeur régional de l’enseignement fondamental n’avait pas décidé, pour plaire aux Oualatois, de me réaffecter à Oualata. Ce fut lors de la rentrée scolaire 92/93. Selon les explications du DREF, il me fallait poursuivre le bon travail que j’avais entamé dans la vieille ville historique. Mais en réalité, la raison était que, depuis mon départ, l’école de Oualata manquait d’un instituteur francisant. Hbib, qui devait m’y remplacer, avait refusé, catégoriquement, de s’y rendre et les puissants parents d’élèves de Oualata menaçaient d’aller jusqu’au bout, pour «avoir» un enseignant de français. Alors, récupérer l’instituteur de Vir El Ketane et le renvoyer combler le déficit oualatois était la solution en faveur de laquelle toutes les considérations plaidaient. C’était une époque ou les instituteurs de français n’étaient pas légion et c’était un privilège que d’en disposer. Grâce à un ami, j’appris la décision arbitraire du DREF et me rendis, aussitôt, à la direction régionale pour confirmation. Effectivement, l’instituteur de français, Sneiba Ikary, matricule 46803 X, devait, en vertu des affichages officiels, (re)servir à Oualata. Sans trop de commentaires, j’affirmais, de vive voix, au directeur régional que je ne retournerai plus jamais à Oualata. Les menaces de répression pour insubordination, alliées aux bons offices entrepris par quelques bonnes volontés, ne suffirent pas à ébranler ma détermination à refuser une si flagrante injustice. Pendant les trois premiers mois de l’année scolaire, je suis resté à Nema. Chaque jour, je venais boire le thé avec le personnel de la direction régionale. J’étais «insuspensible» parce que j’étais physiquement présent. Je rencontrais, régulièrement, des parents d’élèves de Vir El Ketane, à la recherche d’un enseignant pour leur école dont les élèves avaient commencé à reprendre leurs vieilles habitudes. Un jour, alors que je discutais avec un collègue à l’ombre du mur de la DREF, le directeur envoya me chercher. Il était seul dans son bureau. L’épaisse fumée d’une cigarette largement consumée empestait la salle. «Bon», me dit-il, «je vais t’envoyer à Agoueinitt, le meilleur poste de la wilaya».

Le village en question se situe à 30 kilomètres à l’ouest de Nema. Ce sont des Taleb Moktar, une honorable famille d’Ehl Cheikh Saad Bouh, sur laquelle des groupes de toutes les provenances et de toutes les communautés sont venus se greffer. Effectivement, c’était, pour les enseignants et les infirmiers, un poste de choix dont l’obtention requerrait une intervention de poids. La raison de cet «amour» démesuré est toute simple. C’est qu’habituellement, le maire de la commune, feu Hamme Ould Cheikh Saad Bouh, prenait en charge, dans sa légendaire générosité et jusqu’au moindre détail, tous les besoins des fonctionnaires affectés dans son village. A l’époque, une Land Rover était spécialement destinée à leurs fréquents déplacements. L’école d’Agoueinitt est l’une des plus anciennes de la wilaya. Elle date des années cinquante. Des instituteurs célèbres, comme feu le colonel Cheikh Ould Boyda, y ont servi. Un jour, que je regardais dans les archives de l’école, je découvris un rapport de fermeture de l’année scolaire 56/57, rédigé, dans un excellent français, par le directeur de l’école, Cheikh Ould Boyda, et envoyé à l’inspecteur chargé de l’enseignement primaire, basé à Saint-Louis. Dans la partie équipements, le rapport mentionnait des réfrigérateurs, des cuisinières à gaz, des armoires et bureaux… Cinquante-cinq ans après, combien d’écoles urbaines de Nouakchott, de Nouadhibou, de Rosso et autres Kaédi, Aleg ou Kiffa manquent-elles de table-bancs? Quelqu’un a remarqué que la Mauritanie avançait à reculons. C’est, peut-être, vrai.

J’ai débarqué à Agoueinitt, pour la première fois, un jour de janvier. Le chauffeur de la Land Rover qui dessert le village m’avait amené, directement et sans prendre mon avis, chez feu Hamme. Là, je me retrouvai confortablement installé dans le vaste salon de la belle maison, avec les cinq autres instituteurs étrangers au village. En vrac, quelques restes de pain, une calebasse à moitié pleine de zrig, des livres, des cahiers, des ustensiles de thé fraîchement rangés…

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