samedi 29 mai 2010

Mémoires d'un enseignant 2

Entre janvier et février 1988, les 32 élèves-maîtres que nous étions devraient entreprendre un stage pratique dans les différentes écoles fondamentales de Rosso. Chacun devant choisir selon son lieu d’habitation. Comme j’habitais à Satara, chez mon grand frère, un militaire aujourd’hui retraité, j’ai, tout naturellement, décidé d’aller m’initier à la pratique scolaire à l’école 1 de la ville. L’établissement était tenu, d’une main de fer, par une célèbre directrice, Halima Sy, devenue, depuis, inspectrice. C’est une femme travailleuse, exigeante et ferme. Avec elle, les paresseux et les nonchalants, comme moi, n’avaient pas de chance. C’est d’ailleurs pourquoi beaucoup de stagiaires évitèrent son école. Deux de nos formateurs, le professeur de français, Salin, et celui de psychologie, Ali Bé Pacha, devaient nous suivre dans les classes. Nous étions trois stagiaires chez la tonitruante directrice. J’ai débarqué dans une classe de deuxième année. Plus de soixante bambins. Une belle petite salle dont les murs étaient couverts de jolis dessins, affreusement colorés. Souvent, les maîtres-titulaires profitaient de la venue des stagiaires pour disparaître. Khadi Keita, chez qui je faisais mon stage, n’a pas été l’exception. Il lui fallut juste une dizaine de minutes pour me passer le témoin et plier bagage. J’étais là, entre une foule de petits enfants, tout curieux, qui me regardaient de haut en bas. Sans savoir qui j’étais, pourquoi étais-je là, à la place de leur douce maîtresse. Je ne savais pas par où commencer. On ne s’improvise pas instituteur. J’étais comme un homme du désert, jeté dans les profondeurs de l’océan. Lorsqu’aux environs de dix heures, la cloche sonna, c’était la délivrance. Sans attendre, les petits enfants sortirent dans un désordre qui en disait long sur leur déception. Dans le bureau de la directrice, l’ambiance était amicale. Le thé assorti de pain, d’arachide et de quelques sachets de bissap, égayait l’atmosphère. Mes deux collègues présentèrent leur cahier de préparation à la signature. La directrice les observa, minutieusement, avant de les parapher. Je luis tendis le mien, un petit cahier de 32 pages, à peine couvert de notes. Juste quelques bouts de phrases lapidaires. Un véritable brouillon. Aussitôt le visage de la directrice se renfrogna. Du bout des doigts, elle me renvoie le document presque sur le visage. «Ce n’est pas une préparation, ça, c’est du n’importe quoi!» Calmement, je repris mon cahier couvert de poussière. A la descente, mes deux amis m’apprirent comment faire un bon cahier de préparations. Toute la nuit, je me suis employé à tracer, dessiner, colorier. Je voulais plaire à madame la directrice. Deux semaines plus tard, Salin débarque, de bon matin, dans notre école. A onze heures, nous devions assister à une leçon-modèle, dans une classe de 5ème année, tenue par un de nos amis stagiaires. Nous étions tous là, assis au fond de la classe, avec l’encadreur. Salin était pointilleux. Il exigeait les virgules, les accents et l’intonation. Pour un lapsus, il pouvait se lamenter des heures et des heures. Le maître faisait une leçon d’orthographe. C’était le pluriel des noms en (al). Les exemples étaient au tableau. Il y avait écrit, entre autres: les lignes verticaux. Le maître lisait. Derrière, Salin sursautait, à chaque lecture. Il grimaçait, essayait de faire signe à l’instituteur qui le torturait, en répétant et répétant ses lignes verticaux, sans se rendre compte de sa grossière erreur. Lorsqu’il finit sa leçon, Salin était tout en sueur. C’est à peine s’il attendit que le dernier élève sorte pour sauter sur le pauvre maître, qu’il submergea de critiques et de reproches. Deux heures durant, le vieux professeur, qui forma tant d’instituteurs en France, en Belgique, au Sénégal et dans d’autres pays d’Afrique, monopolisa la parole. Regrets, règles de grammaire, de syntaxe, de morphologie. C’était une véritable catastrophe. Impossible, répétait-il, tout rouge de colère. Dégoûté, ce fut la première et la dernière fois qu’il nous rendit visite. Au mois de février, le stage prit fin. Notre école nous organisa un pot d’au revoir. Thé, boissons, beignets. Congratulations, échanges d’amabilités et excuses. Curieusement, la directrice m’attribua la meilleure note de stage et loua, devant le directeur de l’école normale, mon sang-froid et ma maîtrise de soi, lorsque, devant tout le staff, elle m’avait jeté mon cahier de préparation à la figure. Après le stage, nous passâmes à peine deux mois à l’E.N.I. Régulièrement, pendant le cours de français, Salin nous rappelait, avec amertume, le si peu inspiré cours d’orthographe. Puis, en avril, juste après le retour des fêtes de Pâques, nous entamâmes les examens de sortie. Tous admis. Aucun échec, c’est le propre des écoles nationales de formation. Le difficile, c’est d’y accéder. La sortie est garantie. En juin, après la délibération, diplômes de CAP (Capacité d’Aptitude Professionnelle) en poche, on n’attend plus que d’être affecté pour aller servir, l’année suivante, dans les écoles du pays. C’était la vieille «belle époque» du PRDS et du président Maaouya. Les grands barons de cette formation politique avaient, encore, leur mot à dire. Pourtant, malgré l’intervention d’un des plus grands d’entre eux, je fus largué à plus de 1.000 kilomètres de mon Brakna natal, loin, très loin au Hodh Chargui. (A suivre)

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