samedi 29 mai 2010

Mémoires d'un enseignant 1

C’est une sierra de souvenirs, faits de hauts et, plus souvent, de bas, que l’instituteur que je suis a retenu de plus de vingt-deux ans de pratique pédagogique. Des confins du Hodh Chargui, où j’ai débuté ma carrière, aux classes, pléthoriques, de Nouakchott, en passant par les dunes et les plaines du Trarza, une véritable montagne de situations, parfois inédites, qui ont ponctué le parcours d’un maître peu exemplaire, venu au métier par le pire des hasards. Sur les conseils de mon directeur de publication, à qui je racontais, incessamment, les séquences de plus de deux décennies d’acrobaties, de suspensions, d’absentéisme, de privations et d’anecdotes plus ou moins savoureuses, j’ai décidé de vous faire partager ces moments de ma vie qui resteront, à tout jamais, gravés dans ma mémoire. N’eût été le destin, j’aurais pu être, aujourd’hui, un brillant juriste. Déjà, en 1985, baccalauréat, séries lettres modernes en poche, j’étais orienté vers la prestigieuse Université de Dakar. Entre la possibilité d’accéder, directement, à l’Ecole Normale Supérieure ou poursuivre mes études à l’étranger, le choix était évident. Moi, professeur, jamais, que Dieu m’en garde, Yalla Téré, Yo Alla Sourou! Mais, après deux ans de piètres résultats, je reviens à Nouakchott, dépité. Inutile d’expliquer les raisons de ce revers. Hé, il n’a pas pu suivre, diront certains. C’est un petit bédouin, aveuglé par les lumières de la ville, diront d’autres. Peut-être cela, peut-être ceci. Beaucoup des grands cadres actuels de notre pays étaient avec moi, à Dakar. L’un d’eux a, particulièrement, attiré mon attention. Désordonné et intelligent. Zéine Ould Zeidane dont chacun connaît l’aventure premier-ministérielle. Grand dormeur devant l’Eternel, fin joueur de belote et d’échecs, prétendument footballeur, ZZ ne ratait, jamais, ses examens de juin. J’aurais pu devenir, aussi, un officier de la garde nationale. Grâce à la règle des dosages, très usitée en Mauritanie, j’aurais, ainsi, pu être membre du Comité Militaire pour la Justice et la Démocratie (CMJD) ou du Haut Conseil d’Etat (HCE). Car, en 1987, j’ai participé, avec plusieurs centaines de postulants, au recrutement d’élèves-officiers. J’ai, même, été retenu parmi les cinq admis. Mais le diagnostic de l’adjudant-chef S. M., infirmier-major de la garnison, conclut à un problème d’acuité visuelle. C’était, pour lui, suffisant pour substituer le premier de la liste d’attente à ma place. L’adjudant-chef, aujourd’hui retraité, avait ses raisons que la raison ne connaît pas. Les efforts de ma défunte tante ne servirent à rien devant la détermination du sous-officier à me remplacer par quelqu’un de plus «intéressant». C’était en octobre 1987, aux environs de dix heures, que je repris possession de mon dossier, au bureau du recrutement de l’état-major de la garde nationale. Déçu, je m’engage dans la rue qui mène au centre-ville, sans savoir, exactement, où j’allais. En passant devant l’Ecole Normale des Instituteurs (ENI), un attroupement attira mon attention. C’est, me dit quelqu’un, l’inscription pour le concours de recrutement d’une centaine d’enseignants d’arabe et de huit instituteurs de français. Les candidats titulaires du bac ne passeront qu’une année au lieu des trois prévues pour la formation. Sans hésiter, je m’empresse de déposer le même dossier que je venais, tantôt, de retirer de chez les gardes. Je ne réalisais pas que je venais de m’engager dans le métier le plus ingrat du monde. Nous étions plus de quatre-vingt à passer le concours. Huit furent retenus. Après quelques formalités d’usage, le groupe fut reparti sur les deux écoles normales de Nouakchott et de Rosso. J’étais de ceux qui devaient aller se «former» à Legwareb, une ville que je connais parfaitement bien pour y avoir fait une partie de mon fondamental. Juste quelques semaines de formation. De décembre à mars, avec un mois de stage. Presque des «tout-droit» ou des «poignées de Jibril» – deux promotions célèbres, chez les instituteurs: l’une, recrutée de la rue, et l’autre, directement envoyée dans les classes – une sorte de formation sur le tas, dictée par les exigences d’un besoin, pressant, en enseignants. A l’époque, le directeur de l’ENI était l’inspecteur Coulibaly Bakary Mansour, un vrai spécialiste de l’éducation, rigoureux, exigeant et sérieux. Pourtant, la formation était passable. Ainsi, les stagiaires passaient le plus clair de leur temps entre des randonnées, douteuses, à Rosso-Sénégal et d’interminables parties de belote. A la fin de chaque mois, le bureau de Moulaye, le gentil économe, était pris d’assaut par les élèves-maîtres, à la recherche d’une maigre bourse de 5.500 ouguiyas. Certains de nos professeurs avaient pratiquement notre âge. C’est le cas de ce français d’à peine 25 ans, Monsieur Trincan, qui nous enseignait les mathématiques. Alors que d’autres, comme Aoûta, professeur de pédagogie spéciale, ou Salin, professeur de français, avaient, largement, dépassé la cinquantaine. Ils n’avaient, évidemment pas, tous le même tempérament. Autant, monsieur Aoûta était souple et courtois, autant le vieux Salin était rigide et peu avenant. (A suivre)
Sneiba El Kory

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