samedi 29 mai 2010

Mémoires d'un enseignant 19

J'ai exercé juste quelques mois dans le village d'Agoueinitt. Mais, malgré cela, je connus pratiquement tout le monde. Contrairement à mes autres collègues, je profitais de mes heures de repos pour me pavaner de maison en maison. Un thé par ci, un zrig par là. Parfois, même, je surprenais l'unique boucher du hameau en pleine grillade. Vous imaginez la régalade, alors! Un thé chez Magassa, un vieil infirmier retraité d'origine malienne, installé, à Agoueinitt, depuis cinquante ans, n'était jamais de trop. Pendant des heures, celui-ci me racontait, dans un Hassaniya approximatif, piqueté, çà et là, de mots français, les épisodes de sa longue carrière d'infirmier de brousse. Ancien planton d'un colon toubib, le vieux Magassa soulageait, grâce à une expérience de plusieurs décennies, les villageois et leur épargnait, ainsi, l'éprouvant voyage vers les rares centres de santé de la région, sauf pour les cas extrêmes. Malgré son âge, 60 ans largement dépassés, il continuait à traîner, inlassablement, son cartable où médicaments de toutes sortes et de toutes provenances côtoyaient vieille blouse, trousse, stéthoscope et effet de tabac.

Au mois de mai de l'année scolaire 91/92, je rentrai à Nouakchott, après m'être assuré que je n'étais, ni de loin ni de près, concerné par les modalités du concours d'entrée en sixième. Tumultueuses vacances car, au bout de quatre mois, mes continues et diverses manœuvres pour être affecté du Hodh Chargui s'avérèrent infructueuses. L'année suivante, j'ai été affecté, sur ma demande, dans la moughataa de Bassiknou, chez les Oulad Daoud. L'école où je devais servir était située à quelques kilomètres (19 exactement) de Fassala Néré, soit à peine à plus d'une vingtaine de kilomètres du Mali. C'était l'école fondamentale d'edebaye Mansour. Un gros village en banco dont le chef, El Mahjoub, était un homme encore imposant, malgré son âge, assez avancé. Sa femme, Fatimetou Zahra, une véritable "grande royale", entretenait un embonpoint somptueux qui en disait long sur le faste du milieu où elle avait grandi. Leur unique fils, Mohamed, dit Ehelna, possédait, à vingt ans, force vaches, chameaux et troupeaux de chèvres. Mansour était un des rares riches adwabas de Mauritanie et, sûrement, le village le plus nanti de la zone. Les autres localités de Kleiva, Khairelgani, Terbekou et autre Kossana gravitaient autour de lui. J'y ai débarqué, la première fois, d'une Land Rover 110 appartenant à un projet d'élevage qui intervenait dans la zone et dont le coordinateur, l'ingénieur El Joud Ould Salek, était un ami. Nous arrivâmes aux environs de 19 heures. Juste au moment où les troupeaux revenaient du pâturage. L'ambiance était indescriptible. Meuglements d'enfer, poussière suffocante, à la lueur enfumée des feux incandescents des ménages. Aux abords de la tente dressée devant la maison du chef de village, Fatimetou Zahra, drapée dans une belle melehfa, finissait ses prières du crépuscule. Après avoir égrené son chapelet, elle nous salua chaleureusement et, avec une autorité remarquable de naturel, ordonna à une jeune femme de commencer les rituels de l'étranger. Aussitôt, des calebasses de lait frais et des verres de thé nous furent servis. A quelques mètres de nous, au coin de la zériba des agneaux, un homme s'affairait à dépecer un mouton. Nous étions, maintenant, bien à l'aise. L'odeur de la viande grillée embaumait l'air, attirant, des quatre coins du village, hommes et femmes venus, prétendument, saluer, "à chaud", les visiteurs. Il faut dire que "refroidir le salut" de l'étranger est fortement déconseillé, dans la tradition maure. Vinrent les présentations. Mon ami El Joud était très connu dans la zone et c'était de moi, surtout, qu'il s'agissait. Mon statut de maître d'école ne suffisait pas. Je devais répondre aux traditionnelles questions. Desquels de nos frères es-tu? Allusion à ma tribu. Wakhyertt. Un compliment qui ne veut rien dire, puisque, de toute façon, c'est la réplique standard à la moindre présentation. De quelle région? Et comme, en Mauritanie, la vie privée fait partie de la vie tout court, ma situation familiale, le nom de ma femme, le nombre de mes enfants m'ont été demandés, naturellement, simplement, naïvement. La veillée de la première nuit dura jusqu'aux environs de 23 heures. Sans aucun protocole, chacun s'endormit à la place où le sommeil le prit, dans un vaste espace dégagé, caressé par la brise froide d'un mois d'octobre finissant…

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