samedi 29 mai 2010

Mémoires d'un enseignant 16

Les vacances de fin d’année approchent à grands pas. Dans les écoles de brousse, leur date dépend de beaucoup de facteurs dont, surtout, les relations du maître avec les parents, la dernière visite de l’inspecteur et des conditions locales de vie. Mais, dans tous les cas, les instituteurs des adwabas et des campements partent généralement en vacances dés le début du mois de mai. Le retour à Nema relève d’un véritable parcours de combattant.

Pour moi, il me fallut attendre mon ami Chriv Ould Mohamed Vall, le «prestigieux» enseignant de la riche localité de Che’be, qui me prit derrière lui, sur son chameau, jusqu’au premier garage de voitures. La veille de mon départ, tous les villageois se réunirent, exceptionnellement, chez moi. Il fallait me dire au revoir. Mon correspondant qui ne revenait, habituellement que vers 22 heures, était déjà là. Le thé coula à profusion, accompagné, pour la circonstance, d’un kilogramme d’arachides. Les taquineries et les anecdotes fusaient de toutes part. La lune était sereine, nimbant les contours du village d’une lumière diaphane. Même le dîner était spécial. Une grande calebasse de couscous de mil, arrosé d’une sauce à base de viande sèche que la vieille Mama, mère d’Ahmed Sambe, le jeune chef du village, réserve, habituellement, aux visites des «grandes personnalités» (marabouts, gendarmes en visite secteur, agents des impôts, inspecteurs, vaccinateurs d’élevage ou du programme élargi de vaccination). Pour une énième fois, le septuagénaire Boujdilla me racontait, dans les détails, comment Messaoud Ould Boulkheir avait été kidnappé, ici, aux confins de Vir El Ketane, pour être livré, à la place du fils de son maître, aux précepteurs blancs de l’école des fils de chefs de Nema. Le vieux Boujdilla entendait, encore, les lamentations d’une mère, affligée mais courageuse, qui n’eut de répit que lorsqu’elle apprit, par la bouche d’un Bambara très averti, que l’école, si méprisée par les grandes notabilités, prédestinait son fils à un grand avenir. Avec émotion et rage contenue, Boujdilla et les autres relataient les dures pratiques et les rapports vexatoires qui prévalaient, entre maîtres et esclaves, à cette époque. Soixante années plus tard, beaucoup d’eau avait coulé sous les ponts. La situation avait beaucoup évolué. Pourtant, le village de Vir El Ketane n’était, encore, qu’un amas de hangars, dépourvu du moindre service de base. La nuit avançait lentement. Les villageois se retirèrent, un à un, non sans insister sur leur principale doléance: me revoir, parmi eux, l’année prochaine. Au loin, à l’autre bout du village, un groupe de jeunes chantaient au son d’une flûte et d’une chenna – instrument de musique traditionnelle maure, une sorte de tamtam – les louanges du Prophète (PSL). Je ne dormis pratiquement pas.

Le lendemain, mon ami Chriv, confortablement assis sur le dos de son chameau, vint me prendre en croupe. Le voyage, vers le bout de la route des voitures, dura trois heures. Un jeune Hartani nous suivait à pied. C’est lui qui ramena la monture à Che’be. Nous attendîmes deux interminables heures, avant d’embarquer à bord d’une vieille Land Cruiser en provenance de Djeguenyaye. Treize heures passées, déjà et Nema était à plus de 45 kilomètres. La voiture revenait d’un marché hebdomadaire. En plus d’une dizaine de passagers, elle transportait toutes sortes de marchandises: sacs de pain de singe, bouteilles de beurre, mil, feuilles de baobab, gomme arabique, tablettes sculptées, tissus du Mali, balais, cordes et même une selle de cheval…

Comme j’étais parmi les instituteurs retenus pour la surveillance et la correction du concours d’entrée en sixième, je dus rester presque un mois, encore, à Nema. Pour se promener sans risque en ville, la prudence recommandait de bien nous couvrir d’un turban à la targui, afin de ne pas être reconnu par quelqu’un de la direction régionale de l’enseignement fondamental et risquer, ainsi, de se faire suspendre, pour abandon de poste. L’ordinaire de notre séjour injustifié – plusieurs semaines – en l’attente des examens, c’était des parties de cartes, des vadrouilles, incessantes, à travers la ville, des thés et casse-croûtes dans les boutiques tenues par de belles jeunes filles, au marché central qui jouxte les quartiers d’Ideylba et de Koulba. Normalement, corrections et surveillances, confondues, ne duraient que cinq jours, au plus. Et vivent les vacances! Trois ou quatre mois de désoeuvrement au bout desquels les instituteurs reprennent les chemins de leur wilaya respective, après d’âpres et vaines tentatives de ré-affectations en des lieux plus amènes.

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