samedi 29 mai 2010

Mémoires d'un enseignant 7

Deux ans de service dans la vieille cité de Oualata. Une ville particulièrement belle, malgré – ou, peut-être, grâce à – son enclavement. Ses medersas célèbres accueillent des étudiants de partout, principalement de tous les coins de Mauritanie, du Sénégal et du Mali. Ses oulémas, tel Mohamed Yahaya El Welati, font encore parler d’eux de nos jours. En 1989, un des étudiants qui maîtrisent le plus le Coran s’appelait Mouad. C’était un malien, d’une trentaine d’années, qui observait le rituel d’accompagner son professeur, le vieux Be Ould Cheikhna, à la mosquée. Le jour, on éprouve, en empruntant ses rues tortueuses, l’impression que la ville est abandonnée.

Les Oualatois sont discrets. Les maisons sont bâties de telle sorte que le visiteur peut passer une journée entière sans voir quelqu’un d’autre que le chef de famille qui le reçoit. Pourtant, thé, zrig, El moun - une galette délicieuse, à base de mil – dey dey –viande séchée de gazelle – senguetti, degnou – boissons spécifiques de Oualata – riz assaisonné de Chroutt – un cocktail, explosif, de condiments – vous seront servis à travers de petits trous disposés, ici et là, dans les différents coins de la maison. Très hospitaliers, les Oualatois ont, quand même, horreur des visites inopinées. C’est un réflexe traditionnel, hérité des exigences de sécurité de l’époque des razzias et des rezzous. Souvent, le matin, aux environs de dix heures, des personnes âgées se retrouvent sur une sorte de place publique devant leur maison. Les anciens comme Be Ould Guig, Ne Ould Mohamed Cheikh, Jewdetti et autres Hmeyda, Moulay Ely, Leanaya Ould Bouh ou son Excellence Sass Ould Guig, égrenaient, continuellement, leur chapelet, entre les murs de la ville. En hiver, Oualata est prise d’assaut par des dizaines de touristes venus des quatre coins d’Europe. Ses riches bibliothèques constituent, pour les chercheurs, une source de référence et d’inspiration. La tombe de l’érudit Cheikh Sid’El Moktar El Kenti est une très fréquente destination de centaines de visiteurs venus se recueillir et implorer sa baraka. Les fonctionnaires sont régulièrement invités par les notables de la ville. Tous se retrouvent autour de grands banquets où quartiers de viande, boissons locales, couscous, riz et thé abondent. C’était souvent l’occasion, pour ces retraités, anciens hauts commis de l’Etat, de nous raconter la vie de fonctionnaires d’une autre époque. Nous apprîmes, par exemple, que le vieux Be Ould Guig, grand ami de feu Moktar Ould Daddah, à l’époque de son mandat présidentiel, eut l’opportunité de le resservir dans le camp de Oualata où le premier président du pays fut détenu, pendant plusieurs années.
A Oualata, l’avenance et la gentillesse sont des vertus naturelles. Néanmoins, celles de feue Khadeija Mint Maatala, mère de l’ancien Premier ministre Mohamed Lemine Ould Be Ould Guig, m’ont particulièrement marqué. Une dame honorable qui s’était autoproclamée tutrice de tous les étrangers de la ville. Passer devant sa porte valait toujours la peine car, chaque fois, c’était un zrig exquis et revitalisant qui t’attendait. La rencontrer, n’importe où, signifiait bénédictions et invitation à venir partager ses bons repas.
Les événements de 1989 me trouvèrent à Oualata. C’était pendant le mois du Ramadan. Feu Baro Mamadou et Djibril Ndiaye, respectivement assistant d’élevage et chef de service des eaux et forêts, étaient les seuls fonctionnaires négro-africains de la ville. A part la convocation d’un zélé commandant de brigade, ils ne subirent aucune tracasserie. Mais les échos qui nous parvenaient de Néma et les informations que nous distillait RFI les effrayèrent. Ainsi, profitant de la descente du hakem, décidèrent-ils de rentrer à Nouakchott. Les cours se poursuivaient. Comme je n’enseignais que vingt heures par semaine, j’avais du temps à perdre. Aussi faisais-je, à mes heures creuses, la navette entre le postier Isselmou, qui passait des semaines et des semaines sans recevoir un seul client, et l’infirmier Alioune Sangoura, entouré d’une dizaine de bédouins venus soigner qui une morsure de serpent, qui une diarrhée, qui un mal qu’il n’arrivait pas à décrire. Les éternelles querelles entre Alioune, un gars tout propre, aux binocles d’intellectuel, toujours bien habillé, et des Nmadis venus de Dhar, de Mreihim ou de Galb Ejmel n’en finissaient jamais. Peu enclin au jeu de cartes, Alioune se promenait toujours, avec son scrabble sous l’aisselle. Régulièrement, de chaudes empoignades le mettaient en prise avec Mohamed Mahmoud, le percepteur ou Hamoud, le responsable départemental du commissariat à la sécurité alimentaire. Chacun des trois joueurs se prétendait champion, alors que, pour feu Baro, ils n’étaient tous que des débutants. Grand joueur de belote, celui-ci ne ratait, cependant jamais, l’occasion de venir les confondre.
Là-haut sur la colline, à l’Est, le fort surveille la ville Dans ses entrailles, des hommes purgent des peines lapidairement prononcées par des pouvoirs d’exception. Parmi ceux-ci, beaucoup de négro-africains, comme le brillant écrivain Tène Youssouf Guèye, l’ancien ministre Djigo Tafssirou, le journaliste Ibrahima Moktar Sarr, entre autres, accusés d’avoir voulu, en octobre 1987, déstabiliser le pouvoir en place. (A suivre)

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