samedi 29 mai 2010

Mémoires d'un enseignant 10

Trois mois que je suis à Oualata. J’attendais, impatiemment, les fêtes de Noël pour retourner à Nouakchott. Enfin, les vacances du premier trimestre de l’année scolaire 1988-89! Je pris le camion de l’UNESCO pour me rendre à Néma. A l’époque, les fonctionnaires sortants attendaient trois mois, avant de percevoir le rappel de leurs salaires. Théoriquement, je devais avoir trois salaires à la direction régionale de l’enseignement fondamental. En fait, je n’en eus aucun. Alors que mes autres collègues savouraient, déjà, les délices de leurs premiers honoraires, moi, je cherchais une manœuvre pour connaître les raisons de cette «omission». Pour le chef du personnel de la DREF, le problème ne semblait pas si grave. C’est certainement que mes bons de caisse étaient égarés, on les retrouverait bien, un jour ou l’autre.

Complètement découragé, je sortis de la direction, à la recherche d’une solution. Le soir me trouva dînant chez une cousine et un ami policier, du Brakna comme moi, me proposa de me trouver une bonne occasion de voyage vers Nouakchott. Pour cela, je devais, tôt le matin, le rejoindre au poste de police, à la sortie de la ville, à plus de cinq kilomètres. Effectivement, le lendemain, j’embarquais dans un transport de bétail, confortablement assis, dans la cabine du véhicule, entre un vieux chauffeur, militaire retraité, et un jeune apprenti. Du restaurant Mint Tate Mint Cheikh, à la sortie ouest de Nema, jusqu’à Kendra, dans les environs de Kiffa où nous passâmes la journée, l’ancien, visiblement désœuvré, me raconta plus de quarante ans de sa vie. Depuis son jeune âge, son recrutement dans l’armée, la guerre du Sahara, ses faits de guerre imaginés ou réels, sa retraite et quelques-unes de ses aventures, sur la longue route de l’Espoir qu’il emprunte depuis vingt ans.

Enfin Nouakchott! Au ministère de l’Education, l’omnipotent ministre, Hasni Ould Didi, faisait régner une discipline de fer. Tout comme le très puissant chef du personnel, Dahmane, cousin du célèbre dircab de Maaouya, Louleid Oud Weddad, faisait la pluie et le beau temps. Il fallut plus d’une heure pour trouver un interlocuteur. Les services de la direction des ressources humaines se renvoyaient la responsabilité de mon affaire. Personne ne voulait traiter d’un problème ayant rapport avec les bons de caisse. Le ministère venait de démanteler une bande de fonctionnaires qui en abusaient. Finalement, c’est grâce à une connaissance et après consultation, par une secrétaire, d’un bordereau d’envoi, que j’appris la raison de ma déconvenue: mes bons de caisse avaient été malencontreusement envoyés au Guidimaka.

Je devais, donc, soit attendre leur renvoi, par la direction régionale du Guidimaka, ou bien aller les chercher, moi-même, dans cette région. Il ne restait plus que quelques jours des vacances de Noël. Sur conseil d’un vieil instituteur, je décide, alors, d’aller chercher mes bons de caisse, plutôt que de risquer les attendre encore longtemps, ici, à Nouakchott. Avec dix mille ouguiyas empruntés à une connaissance, me voici de nouveau en partance pour Sélibaby. Cette fois, c’est assis à côté des apprentis, sur le porte-bagages d’un dix tonnes, que je m’engage, un soir, sur la route en direction de Kaédi. Le lendemain, aux environs de dix-huit heures, j’arrive à Sélibaby. Je n’y connais personne et la nuit tombe, vite. Mais, en Mauritanie, l’hospitalité est systématique et légendaire. Le lendemain, très tôt, je me rendis à la direction régionale de l’enseignement fondamental du Guidimaka. J’étais pratiquement le premier «client». Vraiment de justesse, au demeurant: le secrétaire prévoyait de renvoyer, le jour même, les bons de caisse égarés, avec le courrier, par le vol hebdomadaire. Récupérant mes trois bons de caisse, j’étais, évidemment, fort soulagé, certain de la fin de mes soucis. C’était sans compter avec l’humeur d’une perceptrice discourtoise qui prétendait ne pas avoir d’argent pour payer mes trois salaires qui ne faisaient, en tout, que 49.056 ouguiyas. Hé oui: à l’époque, le salaire d’un instituteur s’élevaient, très exactement, à 16.352 ouguiyas, soit à peine plus que l’actuelle prime de craie (15.000 ouguiyas). Vainement, j’essayais de faire comprendre à la perceptrice que, sans cet argent, je risquais de ne pas pouvoir retourner chez moi. Mais, visiblement, elle ne comprenait pas le langage si sec d’un instituteur dérouté. Désespéré, je sortis des locaux de la trésorerie sans savoir où aller. Heureusement que je reconnus l’administrateur Abdi Diarra, adjoint-gouverneur du Guidimaka, qui avait servi chez moi, à Aleg, en 1982. C’était vraiment providentiel. Très gentiment, le gouverneur m’emmena dans sa maison où ses domestiques s’occupèrent, royalement, de moi. Je lui expliquai les raisons de mon séjour à Sélibaby et il appela, aussitôt, la fonctionnaire du Trésor qui s’empressa de me compter, jusqu’à la dernière ouguiya, mon argent. Sans plus attendre, je m’embarque de nouveau dans un vieux camion vers Kaédi. Il restait juste trois jours de mes tumultueuses vacances. Je les passais à Aleg, avant de continuer, via Nema, sur Oualata où m’attendaient mes élèves et mes amis.

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