lundi 26 juillet 2010

Mémoires d’un enseignant (26)

La symbolique d’El Aich, dans le Guebla, constitue toute une histoire. Archane, mon charmant petit village ne faisait, naturellement pas, exception à la place qu’occupe cette spécialité culinaire, qui a la vertu de refroidir les esprits. En vrai Archanois, je me baladais de hangar en hangar, sans aucune restriction. Même Ehl Bobane, la famille d’un fonctionnaire du PNUD, qui avait choisi de vivre en brousse, n’échappait pas à mes visites. La gentillesse d’Ahmed, le papa, et de Raghya, la maman, leur bon méchoui et le lait de leurs chamelles n’étaient, évidemment pas, étrangers à la régularité de mes fréquentations. Trois ans, maintenant, que je travaillais à Archane. Tout se passait bien. Selon les rapports des différentes visites d’inspection, l’école du village fonctionnait normalement. Les parents étaient satisfaits de mon travail. Mes absences, parfois prolongées, ne m’étaient guère reprochées. C’était, là, un indicateur sérieux des bons rapports entre l’instituteur et sa direction, d’une part, et entre les parents et leur garay, d’autre part. On ne me considérait plus comme un «barani» (étranger). Preuve supplémentaire de la confiance dont je jouissais à Archane, certaines affaires internes du village étaient, parfois, débattues en ma présence. J’étais véritablement devenu un homme du campement. Je connaissais les rapports liant les uns aux autres. En fait, le village n’avait plus de secret pour moi. Un jour, aux environs de quatorze heures, un beau 4/4 entra dans le village, en provenance de Boutilimit. Aussitôt, enfants, femmes et hommes sortirent des tentes et des hangars. La luxueuse voiture se dirige vers celui du patriarche Mohamed Ould Mazouk, un homme d’une sagesse et d’une érudition notoires. Un des grands fils du village venait saluer les siens. Comme chaque année, l’homme d’affaires, résidant à Nouadhibou, venait se ressourcer dans la localité qui l’avait vu naître et avec qui il entretenait rapports de convivialité, cousinage et humanisme. Pour le recevoir, tout le village se mobilisa, offrant tout le confort à sa portée. Maintenant, le fils prodigue était là, au centre, entouré de toute la bienveillance des siens. L’ambiance était si belle qu’en intrus, je ne sentais pas le temps s’écouler. L’espace d’un thé, je sus combien, en Mauritanie, la réussite économique de l’individu pouvait lui valoir de respect et de considération, lui permettant d’occuper, entièrement et en un temps record, une place honorable dans la société. Le village d’Archane avait une spécificité. C’était un réservoir d’intellectuels. Pour une population d’à peine deux cents habitants, il comptait plusieurs dizaines de maîtrisards. Sa mahadra, sous le contrôle d’un grand homme de Coran peu complaisant, délivrait, annuellement, plusieurs « Ijazas » [diplômes de maîtrise du Coran].
Vint le moment où je commençai à penser quitter le village. Je sentais que ma familiarité avec ses habitants devenait, insensiblement, un handicap au bon déroulement de ma mission. Un jour, juste après la récréation, le directeur régional de l’enseignement fondamental débarqua à l’école. Après une brève inspection des deux classes, il tint réunion, avec Moktar et moi, dans une des deux salles, en présence d’un autre inspecteur qui l’accompagnait et de son chauffeur. Sans prendre le temps d’en discuter, il nous informa que l’un de nous devait quitter l’école dont le quota d’élèves ne lui donnait pas le droit d’avoir deux instituteurs. Selon lui, le grand déficit national d’enseignants, surtout de français, ne pouvait pas permettre un tel luxe à un petit village comme Archane. Je compris alors que j’étais le partant. Moktar essaya, vainement, de faire comprendre au directeur que mon départ porterait un préjudice, énorme, à l’école. Séance tenante, le directeur m’établit une note de service, me mettant à la disposition de la direction régionale. Je devais m’y rendre dans deux jours et, sans autres commentaires, le DREF reprit la route vers Boutilimit. La nouvelle de mon affectation se répandit, comme une trainée de poudre, à travers le village. Hommes, femmes et enfants se rassemblèrent sous la tente et le hangar de mes hôtes. L’heure était grave. C’était une véritable catastrophe. Moktar et moi étions pris en otages, bombardés de questions parfois hors de propos. Moktar essaya d’expliquer aux villageois que la décision était encore révocable. Mais il fallait faire vite. Mohamed, le chargé de mission du village, devait, dès maintenant, se rendre à Nouakchott, pour y mobiliser les ressortissants influents d’Archane. Selon l’un des intervenants, Y…, un haut cadre du village, connaissait très bien le ministre de l’Education. Hé, assalamou aleykoum, renchérit un autre, le ministre est un homme de telle tribu! Historiquement, nous sommes «la même chose». Jusqu’à la prière de dhor, les gens du village tinrent, ainsi, réunion informelle qui décida d’envoyer, le jour même, une délégation dans la capitale. Sous cape, quelques hommes et femmes souhaitaient, en moindre mal, le départ de Moktar. Quant à moi, je n’attendais plus que le lendemain pour partir à Rosso, souhaitant que les manœuvres de mes gens m’épargnent une affectation vers une destination inconnue, où je devrais encore, me réadaptater.
Sneiba El Kory

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