lundi 26 juillet 2010

Mémoires d’un enseignant (23)

C’était la fin du mois d’avril à Mansour. Je n’attendais plus que la rituelle dernière visite des inspecteurs pour partir en vacances. Habituellement, l’école des adwabas débutait en novembre et finissait en avril. Une année scolaire de six mois à peine. La mission d’inspection ne tarda pas. C’était souvent l’occasion, pour quelques inspecteurs, stressés par la monotonie de la ville, d’entreprendre une tournée de relaxation au cours de laquelle les instituteurs visités se débrouilleraient,certainement, à trouver un cabri bien gras dont la viande tendre stimulerait la sympathie et encouragerait l’esprit coopératif des visiteurs. En cette optique, les villages et adwabas étaient minutieusement «catégorisés». Passons la journée dans tel village, c’est sûr que son enseignant nous égorgera un mouton, il a une cantine. Pas question de passer la nuit dans cet eddebaye: trop pauvre! Aucune chance d’y trouver la moindre goutte de lait. Continuons, plutôt, vers l’autre campement, ce sont les Oulad […], une gentille tribu, nous pourrions même trouver quelques cadeaux, au bout de notre visite. Suivant ces paramètres, le village de Mansour constituait une escale privilégiée.

Sa richesse, d’une part, et la gentillesse de Fatimetou Zahra et de son fils Mohamed Alias Ehelna, d’autre part, n’étaient pas étrangères à cette éligibilité préjudiciable. La mission m’informa que j’étais retenu pour les modalités du concours d’entrée en sixième, aussi bien la surveillance que la correction. Mais c’était sans compter sur la relation tribale qui me liait au doyen de la direction régionale, l’inspecteur Ahmed Jiddou dont l’intervention m’exempta des examens. Cette année de 1992, j’étais déterminé à ne plus revenir au Hodh Chargui. Quatre ans entre le Dhar de Oualata, les collines du Kouch, les savanes de Bassiknou et Fassala Néré, c’en était trop.Théoriquement, je devais formuler une demande que le directeur régional devrait viser, avec avis. En fait, je ne suivis, en rien, cette procédure. Je comptai sur mes nombreuses relations et mes extravagantes connaissances. C’était à une époque où tout était possible. Comme d’habitude, j’ai passé mes vacances entre Nouakchott et Aleg. Les jours ouvrables, je les passais avec des centaines d’instituteurs et de professeurs, assis dans l’enceinte du ministère de l’Education ou dans ses alentours immédiats. Au cours de ces rencontres informelles, des supputations de toute nature se racontaient. Discussions politiques acharnées, entre protagonistes de camps opposés. Analyses économiques de professeurs, instituteurs ou autres improvisés experts. Dernières nouvelles des indemnités de direction, de bilinguisme, de multigrade. Rumeurs d’un probable mouvement au ministère. Tout le monde attendait les affectations. Moi aussi, sans avoir entrepris la moindre démarche, j’attendais d’être muté. Un jour, un ami, neveu du ministre de l’Education de l’époque, me proposa de m’emmener chez lui. La maison était pleine de gens, des parents dans la maison d’un de leur fils. Rien de plus naturel. J’attendis, jusqu’aux environs de dix-neuf heures, le retour du ministre qui, après m’avoir reçu dans son vaste et confortable salon et m’avoir reconnu, grâce à ses relations avec un autre frère à moi, me promit de me faire aller là où je voulais servir. Sur un bout de papier, il mentionna mon nom complet, mon matricule et la région où je voulais servir. Je n’avais pas grand espoir, surtout lorsqu’il déposa le bout de papier sur une petite table à proximité. Pourtant, deux mois plus tard, en septembre, à la publication du mouvement des instituteurs, j’appris, alors que j’étais à Goueibina (autre nom d’ Aleg) que j’étais affecté au Trarza, exactement la région que j’avais demandée au ministre. Curieusement, j’ai commencé à éprouver la nostalgie des écoles de Oualata, de Vir Kitane, d’Agoueinitt et de Mansour. En octobre 1992, je me rendis à Rosso pour «servir et faire valoir ce que de droit». La direction régionale de l’enseignement fondamental était une vieille bâtisse coloniale. Le directeur régional, la cinquantaine largement entamée, virevoltait de bureau en bureau. Une poignée d’enseignants occupait le couloir, peu spacieux, qui menait aux affichages du mouvement régional. Sur une des listes, je reconnus mon nom et matricule. La localité correspondante était Archane, dans le département de Boutilimitt. Un nom que je n’avais jamais entendu prononcer, au long de mes 26 ans. Renseignements pris, je sus qu’Archane était un petit campement, situé à douze kilomètres à l’ouest de Boutilimitt, sur la route de R’kiz. Je n’avais ni le temps, ni le choix, ni le droit de protester. D’ailleurs, pour un absentéiste aguerri comme moi, ce poste me seyait bien. Boutilimitt était un poste de prédilection, pour un Alégois comme moi dont les occupations et les amis se situaient à Nouakchott. Sans plus tarder, je repartis encore passer quelque temps chez les miens, avant de regagner mon nouveau poste, aux confins de la belle et célèbre ville de Boutilimitt. (à suivre)
Sneiba El Kory

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