lundi 26 juillet 2010

Mémoires d’un enseignant (24)

Après un détour de plusieurs jours à Nouakchott et risquant d’être suspendu, je devais regagner, sans plus tarder, Archane, mon nouveau poste. Je pouvais bien m’y rendre directement mais, pour des considérations administratives, il me fallait, d’abord, passer par l’inspection départementale de l’enseignement fondamental de Boutilimitt, dont je dépendais désormais. C’était juste un petit bureau, situé dans l’enceinte de l’école 4 dont la directrice, Maimouna Mint Choumad, était un exemple vivant de vivacité, de rigueur et de responsabilité. L’inspecteur, feu Saadi Ould El Idi, un homme d’une cinquantaine d’années, chauve, jovial et au rire sarcastique, se distinguait à peine de la dizaine d’instituteurs qui l’entourait dans le modeste bureau. Le fourneau, sur lequel une vieille théière marmonnait une chanson à peine audible, ajoutait à la chaleur du lieu. Il était aux environs de onze heures trente, quand je me présentai. L’inspecteur appela, aussitôt, un homme d’une soixantaine d’années et lui déclara: «Le voici, votre instituteur! Ne t’avais-je pas dit que la direction m’avait assuré qu’il était en route? Prends-le, montre-lui le garage de votre campement.» Mohamed Ould Nah, chargé par le village de poursuivre, en vrac, les vivres, le Croissant rouge, les campagnes de vaccination et les instituteurs, m’invita à le suivre pour préparer le départ au campement.

Au marché, il me montra le garage d’où partaient les vieilles 404 desservant Archane, El Kame, Naimatt et autres villages périphériques de Boutilimitt. C’est vers dix-huit heures que la Land Rover d’Ould Meidou – un sahraoui résidant à Boutilimitt depuis le milieu des années 70 – pleine de gens, de pains, de sacs de riz, de blé, de rakel et autres nécessités broussardes, quitta la ville en direction des campements qu’elle desservait quotidiennement. Archane, à quelque douze kilomètres, était la première escale. Nous descendîmes, Mohamed et moi, dans un vague espace devant un hangar entouré de barbelés. «La mosquée», me dit-il sobrement mon compagnon. Tout autour, juste une trentaine de tentes et de hangars, disséminés sur plusieurs milliers de mètres carrés. Le hangar de mon hôte était particulièrement spacieux. A l’intérieur, une femme, enveloppée dans un voile beige, m’invita à m’asseoir sur une couverture qu’une de ses deux grandes filles venait d’installer. La nuit commençait à tomber. Un muezzin essayait de faire entendre son appel dans un vieil haut-parleur rebelle. Des hommes sortirent des quatre coins du campement et se dirigèrent, majestueusement, vers la mosquée. Déjà, la nouvelle de mon arrivée avait parcouru le village. A la fin de la prière, j’entendis un homme demander à mon hôte: «Mohamed, c’est un Hartani ou un Kowri (littéralement: Négro-africain)?» Une dizaine d’enfants, probablement des élèves, s’étaient rassemblés chez mes hôtes, curieux de voir leur nouveau maître de français. Aussi, quelques hommes du village, venus me saluer. Informations prises, je n’étais finalement, selon leurs dires, que «quelqu’un parmi eux». «Les I … auxquels tu appartiens et les I… que nous sommes sont les mêmes. Sois le bienvenu, ici, tu es chez toi.» Des amabilités formelles, qui ne veulent, finalement, rien dire et auxquelles tout étranger aurait eu droit, quelque soit sa région, sa tribu, son ethnie et parfois, même, sa religion. L’école d’Archane comptait une quarantaine d’élèves, assis par terre, dans une salle poussiéreuse de quatre mètres sur trois. Moktar, un archanois de quarante ans, était son principal. Régulièrement, il me racontait les péripéties qui avaient ponctué la fondation de l’établissement. Que de fois la tente sous laquelle il enseignait avait été saccagée par un des détracteurs de l’institution scolaire! Que de fois, Moktar avait-il dû transporter, seul, sur son dos, cette tente que, des heures et des heures durant, il s’employait à planter, toujours seul, avant d’entreprendre une campagne de mobilisation sur la fréquentation scolaire! Un paradoxe car la localité d’Archane dont l’école datait des années cinquante est devenue un vivier de cadres, d’avocats, de magistrats, de professeurs etc. Aujourd’hui, avec la déperdition et la défiance envers le système scolaire, l’école d’Archane, comme pratiquement toutes les autres du pays, a perdu de sa notoriété. Moktar, le directeur, était un instituteur d’Arabe. Or, la prestigieuse mahadra du village que tenait, d’une main de fer, «l’homme de Coran», Mohamed Salem Ould Minahna, concurrençait sérieusement les enseignements de l’école de Moktar. Avec l’arrivée d’un instituteur de français, l’école reprit, peu à peu, de sa vitalité. Certains de ses élèves qui la désertaient revinrent, au grand bonheur de Moktar qui, depuis mon arrivée, n’est plus le directeur de sa seule «tête» mais aussi d’un subordonné dont le tempérament et l’âge présageaient une fructueuse collaboration.
Sneiba El Kory

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