lundi 26 juillet 2010

Mémoires d’un enseignant (25)

Finalement, pour pallier au manque de salles de classes, un magasin, préalablement destiné aux choses de la cantine, fut transformé en une première année, tenue par son « excellence » Moktar Ould Horma, le directeur de l’école. J’avais, moi, une classe de sixième, de plus de quarante élèves. Tout se passait relativement bien. La récréation était, pour mon directeur et moi, l’occasion de boire un verre d’un thé passable, assorti d’un morceau de pain de la veille. Au village d’Archane, la vie était des plus simples. Juste deux à trois centaines d’habitants, disséminés dans quelques dizaines de tentes et de hangars. Généralement, les jours ouvrables, il n’y avait, généralement, que Moktar et moi, au milieu d’une communauté de femmes et d’enfants, plus quelques hommes invalides, très vieux, pour la plupart. L’école était située à quelques mètres du puits. C’est pourquoi, régulièrement, surtout les jours de congé, j’allais passer de longs moments avec Blal, un Hartani de plus de soixante ans, responsable en chef de «Lebzazil» – autre appellation d’Archane. Là, autour du puits, tout se raconte. C’est le lieu privilégié de rencontre des étrangers en quête de bêtes égarées, des bergers à a recherche de travail, des troupeaux en transit vers d’autres pâturages. Le soir, après la prière d’el’asr, vers 17 heures, je me dirigeais, systématiquement, vers la demeure de Mohamed Abdallahi Ould El Kherchi, le forgeron du village, où feu Mohamed Ould Mazouk, un érudit, Sidi Mohamed Ould Ahmed Saleh, spécialiste et fin connaisseur de toutes les tribus de Mauritanie, et quelques autres notables septuagénaires du village venaient prendre leur «Dhehbi» – un thé qui se partage, dans la tradition maure, aux environs de 17 heures.

Mohamed Abdallahi était, à la fois, l’artisan et le boucher du village. Son thé raffiné, ponctué d’anecdotes, d’épopées tribales et d’histoires de grands Hommes, durait jusqu’à l’appel du muezzin pour la prière du crépuscule. Sauf au mois de Ramadan, où des veillées sans fin permettaient de casser la monotonie de longues nuits broussardes, le temps paraissant infiniment long, dans ce charmant petit village. Le jeudi soir, celui-ci s’animait, cependant, en perspective du retour des «deymassa», ceux qui viennent pour le week-end. Quasiment tous les fonctionnaires originaires du petit hameau, avocats, magistrats, professeurs, étudiants et autres, revenaient, ainsi, de Nouakchott, de Boutilimitt ou de Rosso et, pendant deux jours, Archane changeait du tout au tout: viandes en abondance, fruits, voitures, ambiance de fêtes. J’étais systématiquement invité par l’un ou l’autre de ces «rapatriés». L’occasion, pour moi, de recevoir les dernières informations et, parfois même, quelques journaux. De temps à autre, j’allais, passer le week-end, à Boutilimitt. A pied. C’était juste une promenade de santé, d’une heure et demie, parfois deux, que de parcourir les douze kilomètres qui séparaient le village de la ville. Un soir de décembre 1997, Moktar, mon bouillant directeur, de retour de Boutilimitt, m’apprit que je faisais partie des membres du bureau de vote pour l’élection présidentielle du 12/12. Le jour J, je me présente, comme tous les autres, à l’école 3 de Boutilimitt. Le chef du bureau était un ingénieur du ministère de l’Equipement, ressortissant de Dienket Meyloud, un quartier symbolique de cette ville pétrie d’histoire. Le hakem de l’époque était feu Diaguly Ould Moktar, un administrateur réputé droit, juste et responsable.
Les opérations commencèrent un peu en retard, vers 7 heures passées de 20 minutes. Au début, tout se passait relativement bien. Les hommes et les femmes, bien en ordre dans un long rang, votaient un à un. Cependant, le président du bureau, Pé-éRe-Déiste jusqu’à la mœlle, espérait pousser la tolérance au point de laisser voter certains électeurs sans pièce d’identité, sous prétexte qu’il les connaissait. Il nous fallut, un ami et moi, plus d’une demi-heure de discussion, houleuse, pour lui faire entendre raison. Lorsque, vers 15 heures, le rang fut épuisé, le moment de répit fut mis à profit par ledit président pour vilipender notre «insubordination» et notre méconnaissance des dispositions du code électoral, qui lui donnaient le dernier mot, en cas de litige sur l’autorisation ou non de vote d’un électeur. Vers 16 heures, un rang de plusieurs dizaines de personnes se présenta au bureau. Je reconnus certains de nos électeurs du matin, et pas des moindres: hauts fonctionnaires enturbannés et autres fraudeurs, venus voter à la place d’électeurs fictifs ou sans état-civil. Je voulus m’élever contre cette magouille organisée mais le président me dénonça, illico, au hakem qui faisait la navette entre les différents bureaux. Celui-ci me fit monter dans sa voiture et me dit, en présence de son chauffeur et de son garde: «Hé, laisse les gens travailler» – entendez frauder – «ou bien je t’enlève de ce bureau. D’ailleurs, nous n’avons pas besoin de toi.» Le renvoi était formel et sans appel. Sans avoir eu le temps de répondre, je fus redescendu dans la rue, avec instruction, officielle, à mon président de bureau, de signaler, sur le champ, la moindre de mes «turpitudes». Peu soucieux de moisir en prison, je pris mes cliques et mes claques et quittai, à l’instant même, Boutilimitt, à destination d’Aleg, avec la consolation, tout de même, de n’être pas obligé à signer des procès-verbaux d’une opération de fraude à grande échelle, officiellement autorisée, pour ne pas dire orchestrée. (A suivre)

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